Entretiens

Serge Andrieu : « Il vaut mieux faire couvreur que pâtissier ou ébéniste pour trouver un emploi »

Serge Andrieu responsable de l’Institut supérieur de la couverture

Serge Andrieu est le responsable de l’Institut supérieur de la couverture / AOCDTF et dans cet entretien nous présente l’avenir du métier. Même si la technicité d’un matériau comme l’ardoise évolue peu, la formation inclue les avances sur la sécurité au travail, le numérique ou l’isolation. “On pourrait former 30% de jeunes en plus !“, affirme-t-il.

CUPA PIZARRAS – Bonjour Serge, avant de démarrer sur ta mission actuelle, peux-tu commencer par une présentation personnelle ?

Serge Andrieu – Je suis couvreur depuis 1986, et pour tout dire, je n’ai pas vraiment eu le choix (rire). En fait, mon père était lui-même couvreur, et j’ai toujours trainé autour des palettes ou sur les échelles. Ça n’aurait pas pu être une autre vocation. J’y passais toutes mes vacances scolaires. Mon père a posé comme condition que j’aille apprendre le métier ailleurs, le temps de me faire ma propre expérience, avant que je puisse revenir. C’était soit l’école d’Angers, soit les Compagnons.

Les Compagnons venaient tout juste de prendre le virage lors de la création des CFA, et c’est ce qui m’a décidé, en plus d’un stage à Albi auprès de Thierry Pointillart. Le Tour m’a fait passer par Périgueux, Lyon, Nantes, la Suisse et Paris. Ensuite, j’ai passé deux ans au Congo, à coordonner des projets de fabrique de tuiles canal. Après la réception en 1993 et le BP à Strasbourg, j’ai été à Angers et formateur à Paris.

En 1996, je suis rentré dans mon Aveyron natale dans l’entreprise familiale. Il y a eu jusqu’à 25 salariés avec une activité désamiantage en plus de la couverture. Après 20 années à diriger cette activité, j’ai choisi de devenir formateur à Toulouse, jusqu’en 2018, date à laquelle je suis entré à l’Institut supérieur de la couverture.

CP – L’Institut supérieur de la couverture… c’est quoi ?

SA – L’Institut Supérieur de la Couverture est un centre d’expertise animé par des Compagnons du Devoir, qui prend en compte l’actualité et le devenir des métiers. L’Institut a un rôle de veille technologique : il connait les dernières innovations, les évolutions économiques, réglementaires et sociologiques dont il anticipe les incidences sur les métiers.

Son objectif est de garantir la pertinence des formations proposées par l’Association. Pour cela, sa mission s’articule autour de quatre axes :

  • La mémoire : Il s’agit de s’assurer une bonne transmission des savoirs par l’écrit. Pour cela, nous éditons des ouvrages quand le besoin se présente ou rééditons d’autres manuels. Un exemple parlera à tous les couvreurs : c’est l’ISC qui a rééditeé régulièrement la Bible ! (La couverture en ardoise. Beaulieu / Sangué)
  • La rencontre : Cela consiste à tisser un réseau au sein de toute la filière couverture et animer des partenariats avec les industriels, les branches professionnelles, et organismes publics, en région ou au national.
  • La formation : Nous actualisons en permanence les programmes et contenus des formations actuelles ou mettons en place de nouvelles formations, en fonction des besoins ou des évolutions du métier. En plus de la formation initiale, nos Centres de formation proposent également les BP, l’itinérance, des formations supérieures et de la formation en ligne.
  • La prospective métier : Nous nous interrogeons sur le devenir du métier et tentons de l’inscrire dans le futur. Pour cela, nous avons initié une démarche depuis quelques années au travers de différents séminaires de travail. Tous les acteurs de la couverture sont présents. Au passage, merci à Cupa Pizarras pour sa contribution !

Nous devons protéger le métier et valoriser les savoir-faire.

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CP – Peux-tu nous faire un point sur la rentrée 2020 ?

SA – Seize centres de formations sont ouverts et les formations initiales / BP / continues sont animées par 34 formateurs. Nous comptons environ 240 jeunes en 1ère année, 200 en 2ème année. Entre 80 et 100 jeunes sont en BP et pas moins de 160 itinérants viennent compléter l’effectif.

C’est plutôt une belle rentrée, d’autant que les circonstances de promotion et de recrutement n’ont pas été simples ! On peut même se satisfaire d’une légère augmentation. En somme, il vaut mieux faire couvreur que pâtissier ou ébéniste pour trouver un emploi. Il y a de l’avenir pour notre métier. Les entreprises sont en recherche et les placements se font très facilement.

CP – Tu évoquais l’évolution des formations… mais une noue en ardoise, ça reste une noue en ardoise, non ?

SA – (rires) ah ah !!! Je te reconnais bien là ! Oui, la technicité d’un matériau comme l’ardoise évolue peu… Cependant, nos formations incluent désormais toutes les avancées sur la sécurité au travail : des sessions complètes sur les échafaudages, un module sur la PRAP (Prévention des risques liés à l’activité physique), une ouverture sur l’AIPR (Autorisation d’intervention à proximité des réseaux) pour s’atteler au photovoltaïque.

Et bien sûr, de nombreuses formations sur le bardage, l’ITE et le sarking. L’isolation, ce doit rester notre métier. Le numérique prend également sa place dans nos programmes : BIM, photogrammétrie… Bientôt, il y aura peut-être le drone ou d’autres technologies connectées.

Enfin, pour nous adapter à toutes les perspectives de carrière, il existe également des formations type DEUST pour entrer en bureau d’études, gestion des entreprises, une formation de chef d’équipe afin de savoir organiser un chantier spécifique de couverture.

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CP – Comment se porte l’emploi aujourd’hui ?

SA – Les entreprises ont du boulot et par conséquent, les jeunes qui sortent de nos formations n’ont pas de mal à s’insérer. Le taux d’emploi est entre 95 et 98% au sortir des Compagnons. Et on est loin de satisfaire à la demande. On pourrait former 30% de jeunes en plus !

CP – Comment évoluent les savoir-faire en entreprise ?

SA – L’entreprise de couverture est en train d’évoluer vers le solaire photovoltaïque, le solaire thermique. La façade fait partie intégrante de ces compétences et nous devons rester vigilants afin que ce métier ne nous échappe pas. Le fait est que, comme il y a beaucoup de travail, les entreprises n’ont pas un besoin immédiat de diversification. Cependant, on sait que c’est une mise pour l’avenir. Et c’est pour cela que l’Institut doit jouer pleinement son rôle.

Les couvreurs doivent continuer de développer d’autres compétences, ou à l’échelle d’une boîte, peut-être les embaucher en externe pour les intégrer à son offre. Cela exige de se fixer un vrai projet d’entreprise ce qui suppose d’avoir le temps de prendre de la hauteur sur ses objectifs.

CP – Notre Dame de Paris… C’est le sujet du moment. Tous les métiers de la restauration du patrimoine ont leur mot à dire. Quel est le point de vue de l’ISC sur ce point ?

SA – Effectivement, on entend beaucoup nos métiers sur Notre Dame. Et bien évidemment, les couvreurs ont leur mot à dire. Il y aura un débat à avoir sur le plomb, c’est certain.

CP – Vous ne prônez pas une reconstruction à l’identique ?

SA – Il ne faut pas être passéiste. L’esthétique doit bien évidemment se rapporter à ce qui était en place. Mais après tout, pourquoi ne pas imaginer une charpente en lamellé collé : on est quand même au 21ème siècle. La charpente métallique sur le Parlement de Bretagne n’est pas une ineptie. Effectivement, les jeunes viennent à nos métiers pour la tradition, mais ils se tiennent également prêts pour aller de l’avant.

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CP – Vers quoi s’oriente le métier à 20 ou 30 ans ?

SA – On va retourner à des circuits plus courts, des matériaux plus durables, notamment du réemploi en parallèle de matériaux industriels de haute qualité. Il est certain que les matériaux synthétiques auront du mal à perdurer, tant pour les problèmes liés à leur fabrication que pour la problématique liée à leur recyclage.

CP – Et à court terme ?

SA – A court terme… et bien, nous pourrons en discuter au prochain Congrès des Compagnons, qui aura lieu à Mende (48) au week-end de l’Ascension. Le thème sera « Réemploi et circuit court ».