Mathias Coutant: « Le couvreur met à l’abri, protège ceux qui habitent sous le toit, mais il doit aussi servir l’architecture »
Céline Coutant (Associée et codirigeante SARL ALAIN COUTANT) : « Les gens se sont rendu compte que leur maison était un bien précieux et ont eu le souhait de mieux l’entretenir »
Mathias Coutant, 34 ans, dirige SARL ALAIN COUTANT (Mauléon – 79) l’entreprise de couverture créée en 1986 par son père. Cinquième du nom au sein d’une lignée de couvreurs, il nous décrit son parcours, détaille son projet d’entreprise et nous livre une vision du métier reposant sur l’engagement pour la formation et la transmission, une valeur fondamentale dans l’ADN de l’entreprise. Il la met en œuvre au quotidien dans son entreprise en prenant soin de ses apprentis et entend lui donner un prolongement fort dans des actions concrètes grâce à son nouveau rôle de Président de l’Ecole supérieure de la couverture d’Angers.
CUPA PIZARRAS – Mathias, patron d’une aussi jolie boutique à 34 ans, ça t’est venu dans une pochette surprise ?
Mathias Coutant – (rire) Ah non, certainement pas ! ça ne fonctionne pas ces histoires-là ! La couverture, c’est un univers difficile et exigeant. Pour commencer, faut être animé par la passion du métier. Petit déjà, traîner dans le dépôt ou au pied des chantiers de mon père, ça me fascinait. Être sur les toits, tout simplement, se sentir en hauteur, admirer le paysage, je me sentais attiré par tout ça. Mais ça suffit pas ! Le métier, je l’ai appris en commençant au bas de l’échelle, au sens propre comme au sens figuré !
J’ai démarré l’apprentissage chez Toitures Petit, au Coudray Macouard, pour voir d’autres horizons. Ça n’a pas fonctionné comme prévu, alors, après être repassé dans l’entreprise familiale, je suis parti faire un stage dans le service marketing d’une grande entreprise top high tech qui créait des cartes à puces dans le cadre du développement de la 3G, à l’époque. Pour le coup, ça a été très clair : enfermé dans un bureau, c’est pas pour moi ! Faut que ça bouge, faut que je sois dehors.
Plein d’usage et raison, comme on dit, je suis revenu à Mauléon et ça a vraiment démarré.
Les chefs d’équipe m’en ont fait baver, vraiment ! De la manutention, des coups de balai, du tri de palettes, j’ai donné ! Mais j’ai appris surtout, grâce à ces gars ! L’ardoise et le zinc, les deux matériaux pour lesquels je ressens une vraie passion. A 21 ans, à force d’efforts, je me hisse responsable de chantier. Ça aurait pu continuer à rouler comme ça, mais j’avais soif d’ailleurs. Il me fallait une expérience longue, sous d’autres contrées. J’en ai parlé à mon père. Pour l’anecdote, il me dit « toi ? mais t’es pas capable de quitter le clocher de Mauléon et tes potes plus de 2 semaines, alors partir plusieurs mois… j’attends de voir ! ». Il n’en fallait pas plus pour me piquer au vif ! Me voilà parti pendant un an en Australie : c’est ce qui semblait le plus loin possible de Mauléon sur le globe !
En revenant de cette expérience, où je dirigeais des chantiers de métal assez complexes, j’avais envie de continuer à voyager. Boston, ça m’attirait, ça sonnait bien, et sans doute que j’y projetais un brin de rêve américain la liberté…
Là, mon père, qui envisageait déjà la transmission, me dit : « c’est soit Boston, soit l’entreprise ». Je suis sorti 5 minutes : les gars s’afféraient dans le dépôt et autour des véhicules. Tout m’est apparu évident : « Papa, compte sur moi, je reste ».
Du coup, je suis parti 18 mois à l’Ecole supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment, à la FFB, pour apprendre la gestion financière, le management, le social, le droit et m’inscrire dans le parcours de reprise.
CP – Ton père est couvreur, mais c’est une histoire familiale plus ancienne, non ?
MC – Ah ah !!! tu veux les albums de famille ?!
Mon arrière-arrière-grand-père s’appelait Adrien, et effectivement, lui et son frère étaient déjà couvreurs ! Son gendre -mon arrière-grand-père-, qui avait déjà un commerce dans le vin, a repris l’entreprise de couverture de son beau-père. Il avait deux fils : Raymond a repris l’activité liée au vin et Hubert a repris l’activité couverture. Hubert, c’était donc mon grand-père, tu suis ? Aussi bien, j’aurais pu être vigneron, mais bon, on peut aussi profiter du vin d’une autre manière, non ?! Bref, le frère de mon père, mon oncle, a lui aussi été couvreur, et son fils Eric, mon cousin donc, est couvreur à Pont-Audemer.
Arrive mon père, Alain, mon père qui a monté sa propre société en 1986. Il ne voulait pas de l’entreprise paternelle, qu’il jugeait trop liée à la promotion immobilière, avec notamment l’essor des étanchéités bitumineuses dans les années 70. Il voulait s’inscrire dans une démarche plus qualitative. Bien lui en a pris ! Son pari s’est révélé gagnant !
CP – La reprise officielle a eu lieu en 2016, tu peux nous en dire deux mots ?
MC – Mon père a toujours prôné la qualité, c’est indéniable. Mais à mon goût, les dernières années et la crise des années 2010, avaient trop rapproché l’activité de l’entreprise des gros marchés publics ou de la promotion immobilière. Certains penseront que l’histoire se répète, nan ?! Bon, on n’est pas là pour s’allonger sur le divan ! Bref, je me suis attelé au projet d’entreprise suivant :
- Un tiers de l’activité tournée vers les particuliers : être réactif, assurer l’entretien et le dépannage en tenant ses délais, privilégier la qualité du service clients. Faire de ce que certains appellent « la bricole » une véritable valeur ajoutée pour l’entreprise.
- Un tiers de l’activité repose sur les appels d’offres publics et les gros ouvrages privés, notamment en métal. Cela nécessite de maîtriser une très haute technicité et, au-delà d’un savoir-faire sans faille, une parfaite gestion des chantiers.
- Un tiers de l’activité s’est développé sur la restauration du patrimoine. Coutant a été la première entreprise a posé la fameuse Cupa 4 MH 5 mm, sur l’Abbaye Royale de St Jean d’Angely, grâce à une étroite collaboration avec Bertrand Lanoë !
Pas moins de 35 personnes s’organisent autour de ces trois piliers. Tous les gars passent par l’ESC (ndlr : l’école supérieure de la couverture – Angers 49) et chacun développe ensuite sa compétence selon sa branche d’activité. Nous nous inscrivons dans le moyen et le haut de gamme. Cela signifie que nous exécutons des prestations qualitatives dans leur mise en œuvre et représentatives des valeurs du métier : esthétique, résistance et durabilité.
Le couvreur met à l’abri, protège ceux qui habitent sous le toit, mais il doit aussi servir l’architecture.
Aujourd’hui, l’essai est en passe d’être transformé. Mais ça n’a pas été facile, y a pas eu de pochette surprise. C’est même l’inverse ! J’ai subi le départ d’un proche collaborateur de l’encadrement il y a trois ans, et il a fallu se repenser, réorganiser la distribution des postes en encadrement.
Là, j’ai eu un coup de bol monstre : j’ai appelé Céline, ma sœur, diplômée d’HEC et menant une belle carrière à Paris. Il fallait qu’elle nous rejoigne. La tête de l’entreprise avait besoin de retrouver confiance et sérénité. De mon côté, je savais qu’il fallait me recentrer sur la technique et être disponible pour l’opérationnel. Céline, après s’être remise de l’émotion de mon coup de fil, a repris les parties financières et RH. Depuis 2 ans, le binôme est parfait : je me repose sur elle les yeux fermés, aucune inquiétude.
CP – Tu parles de valeurs, d’engagement et de transmission. Concrètement, quelle est ta contribution à l’organisation de la profession ?
MC – J’essaie de faire ce que je peux, en fonction du temps qu’il me reste. J’ai été Vice-Président de la Fédération des Deux-Sèvres et représentant, non-officiel, pour l’UMGCCP (ex UNCP). J’ai aussi fait partie du mouvement du CJD. Et puis aussi, je vais tous les ans à la remise des diplômes à l’ESC !
CP – Justement, on raconte que tu as été appelé par l’ESC ? Il y a des projets dans l’air ?
MC – Aaaah ! Quel curieux, je dois donc tout raconter ?!
On se connait depuis plusieurs années avec Pierre Deremaux, l’ancien Président. Au printemps 2019, son mandat arrivait à son terme et il souhaitait passer la main. Pierre a proposé à son conseil d’administration de me confier les rênes. Le vote a validé sa proposition. Avant le scrutin, j’avais surtout pris soin de valider le projet avec Céline, ma sœur, car ce n’est pas neutre : c’est du temps, de l’engagement et mine de rien, on expose un peu l’entreprise. Notre réflexion s’est conclue de manière positive.
Une mission à l’ESC , c’est le prolongement des valeurs que l’on défend dans l’entreprise Coutant : transmission des savoirs, formation et engagement, bref, un véritable reflet de ce qui nous tient à cœur au quotidien.
CP – Félicitations, Monsieur le Président ! Quels sont les projets de l’ESC ?
MC – Le projet de l’ESC n’est pas complètement abouti. Les derniers mois « Covid » ont ralenti notre calendrier prévisionnel. En ce moment, nous finalisons la constitution de la nouvelle équipe, qui doit se composer de membres de droit, d’honneur ou issus des organisations professionnels et chefs d’entreprises pour une large. Il faut du sang neuf et de nouvelles idées afin de porter un regard nouveau sur le futur de l’ESC. Nous entamons donc la phase de réflexion, en nous entourant de toutes les forces vives possibles, pourvu qu’elles soient acteurs du monde de la couverture, industriels compris. Je lance donc un avis aux candidats !
Concrètement, nous avons deux défis à relever :
- L’ESC est une institution prestigieuse. Sa légitimité est unanime dans le monde de la couverture ! Aux yeux de tous, l’école est indispensable pour ce qu’elle apporte dans la formation à nos métiers, dans les savoir-faire et leur transmission. Elle n’a pas perdu ses lettres de noblesse, mais avec certains jeunes de la nouvelle équipe qui m’entoure, nous souhaitons, comme chaque génération, apporter notre lot de nouveautés
- D’autre part, les réformes successives de la formation ont rendu un peu flous les différents diplômes, certificats ou cursus de formation. En ce sens, il faut redonner de la lisibilité au rôle de l’Ecole supérieure de la couverture. Ce n’est plus un centre de formation à proprement parlé, selon les critères ministériels, puisque les diplômes ne sont plus délivrés par nous, mais par le BTP CFA Maine et Loire. L’ESC est désormais une association de chefs d’entreprise en activité, acteurs de la couverture, qui se réunissent pour promouvoir l’apprentissage et réfléchir aux formations autour du métier de couvreur.
Nos actions devront être les suivantes :
- Conserver la qualité du certificat de l’ESC et défendre les exigences liées à son attribution.
Ce point demande de la vigilance régulière mais je ne suis pas inquiet car nous avons la chance d’avoir une équipe de formateurs exceptionnels. Je n’ai pas peur de le dire : ce sont les meilleurs ! Passionnés par la couverture et experts dans leur métier, ils savent surtout transmettre avec patience, rigueur et générosité. - Attirer des jeunes vers les formations de l’ESC , qui est donc adossée au BTP CFA Maine et Loire.Sur 100 BP entrants, 80 sortent avec un diplôme et 60 obtiennent le fameux Certificat de l’ESC.Ce sont de bons chiffres qui montrent que la formation a de beaux jours devant elle. Mais il est vrai que la tendance montre que notre profession manque de bras. Alors, nous prendrons le bâton de pèlerin pour aller chercher les jeunes.La recette n’est pas si compliquée. Il faut deux ingrédients :
- Mobiliser les énergies et communiquer ensemble dans les carrefours de l’emploi, manifestations diverses ou dans la presse, pour expliquer notre métier et nos conditions de travail, transmettre notre passion et notre fierté, et dire aux jeunes qu’un bon couvreur s’en sort plutôt confortablement dans la vie. La nouvelle génération ne demande qu’à être appelée vers des projets concrets.
- Travailler dans notre réseau pour rendre nos entreprises attractives. Ça ne sert à rien d’attendre que ça vienne de Paris, des Ministères ou des organisations nationales. Un patron, s’il veut recruter des gars, il doit s’en donner les moyens. Nous devons, chacun de nous et à notre échelle, donner envie aux jeunes. Pour cela il faut leur ouvrir nos portes, passer du temps à les former, les fidéliser et les motiver par un vrai programme d’évolution personnelle.
- Porter une réflexion sur le besoin en nouvelles formations
On se rend compte que tous les modules de formation de haute technicité existent dans le domaine de la couverture. Pour la formation initiale, c’est une évidence à l’ESC, dans les CFA et dans les associations compagnonniques. Pour les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques, si les centres ne proposent pas tout, alors, les industriels comblent parfaitement les vides grâce à leurs formations internes.
Ce qui manque, c’est une réponse aux besoins de l’entreprise d’aujourd’hui. Aujourd’hui, un patron peut trouver un très bon technicien pour conduire une petite équipe. Mais justement, cet encadrement nécessite une posture de chef d’équipe, au-delà des compétences de conducteur travaux ou chargé d’affaires pour lesquelles les formations existent déjà.
Un chef d’équipe doit savoir manager, entretenir un bon relationnel avec son client, qu’il soit architecte ou particulier, pointer une livraison, effectuer les suivis horaires, gérer la logistique d’un chantier. On pourrait imaginer regrouper tout cela dans un nouveau Certificat labelisé ESC.
Rien n’est écrit pour l’heure, mais notre réflexion devra inclure cette vision d’avenir.
CP – Mathias, merci beaucoup pour le temps que tu nous a accordé. As-tu quelque chose à ajouter ?
Merci à vous pour le coup de projecteur sur l’école d’Angers. On a parlé de technique, entreprise, formation… Pour moi, le trait d’union entre tout cela, c’est le cœur qu’on y met, et l’infinie satisfaction qu’on peut ressentir quand on réussit soi-même un ouvrage complexe, quand on voit un jeune heureux et fier de son diplôme, quand un client nous dit qu’il est bluffé par son chantier terminé et quand je vois mes gars qui arrivent à l’entreprise avec la banane, le matin . Tout ça, ça donne une énergie inépuisable !
CP – Et l’ardoise CUPA PIZARRAS?
MC – Ah… ok, je le reconnais, c’est la meilleure du monde ! (rires)
Céline Coutant (Associée et codirigeante SARL ALAIN COUTANT)
Les gens se sont rendu compte que leur maison était un bien précieux et ont eu le souhait de mieux l’entretenir
CUPA PIZARRAS – Céline, comment l’entreprise Coutant a-t-elle vécu la crise COVID ?
CC – Au départ, les gars ne voulaient pas s’arrêter car ils ne voyaient pas en quoi cela pouvait être problématique. Travaillant isolés sur les toits, ils se sentaient protégés de tout danger, et on peut les comprendre. Nous avons passé beaucoup de temps à expliquer les mesures, parfois contradictoires selon les jours, qui devaient s’appliquer à notre PME. Cette communication auprès d’eux a demander beaucoup d’énergie : sur Whatsapp, par mail, au téléphone. Nous les avons rassurés sur les conditions salariales, les arrêts pour garde d’enfants, les perspectives de reprise. Pour nous, qui plaçons les valeurs humaines au cœur de notre projet, ce n’était pas évident.
A côté de ça, nous avons vraiment pris la mesure de l’immense responsabilité qui reposait sur nos épaules de chefs d’entreprise. Du jour au lendemain, on doit être expert en tout : juriste, financier, comptable, DRH… et psychologue. Nous avons mis à profit cette période hors du temps pour prendre du recul, nous adapter, être agiles et anticiper différents scénarii de reprise alors que personne ne pouvait réellement prédire la suite. Notre avantage a été une parfaite connaissance de nos équipes, du métier, de notre région et de nos clients. Sur ce point, on a pris un peu d’avance !
CP – Concrètement, comment se sont passés l’arrêt et la reprise ?
CC – Il y a eu 3 semaines d’arrêt. Après la rédaction du protocole de continuité de l’activité, nous avons pu compter sur certains salariés pour venir tester les solutions techniques à mettre en place. Après quelques ajustements, deux gars ont pu repartir sur les toits début avril, puis 4 puis 6, selon les situations individuelles, familiales ou de santé. Le 18 mai, tout le monde avait repris à 100%.
Ces 2 mois d’arrêt brutal ne sont pas sans conséquence après un hiver particulièrement pluvieux. Il faut pouvoir l’encaisser : des chantiers en retard et non facturables, un stock qui grève la trésorerie, des charges qui s’accumulent. Et au moment de la reprise, les mesures à respecter coûtent jusqu’à 10% des chantiers, qui pour la plupart, sont déjà signés. C’est donc à l’entreprise d’en assumer le prix.
En revanche, durant cette période, les demandes de devis et de nouveaux projets se sont multipliées. Les gens se sont rendu compte que leur maison était un bien précieux et ont eu le souhait de mieux l’entretenir, sans doute. En ce sens, notre calendrier a continué de se remplir, ce qui est une bonne nouvelle !
CP – Tout peut donc repartir comme avant ?
CC – Et non ! Ce n’est pas si simple ! Les gens ont peur, il faut continuer de rassurer. Administrativement, les PPSPS (plan particulier de sécurité et de protection de la santé) sont très contraignants et leur mise en place effective mobilise beaucoup de temps et d’énergie sur le terrain. Mais nous avons su organiser les choses et nous pouvons compte sur une équipe solide et profondément engagée ! Les gars ont bien compris l’impact que cela avait sur l’entreprise, ce qui facilite leur engagement et leur envie d’y aller !
CP – Un petit mot sur vous ?
CC – Quand j’étais petite, je rêvais d’être couvreur, dans l’entreprise de mon père. Alors, la diriger aujourd’hui avec mon frère est un accomplissement. J’en avais marre des grands groupes parisiens.
Il me fallait un projet avec des valeurs humaines et familiales, et désormais, je sais que j’ai trouvé ma place.